Richard avait associé à son vaste album photo numérique un Livre d’or qui n’a plus cours. Dès lors, mon idée première d’y tracer quelques lignes en provençal valéian a perdu tout son sel et je reviens à la langue française pour une sorte préface, celle d’un béotien.
En effet, je fais de la photo comme M. Jourdain de la prose et je n’en maîtrise ni les codes, ni la technique (la physique de la chose pour ne pas dire l’alchimie, les focales, les angles de prises de vue, le matériel haut de gamme). Richard est maître en ces domaines et continue à regarder le monde avec la précision de l’architecte jusque dans les coordonnées des lieux, mais surtout en ajoutant ses commentaires poétiques. Voici donc un magnifique catalogue, tel celui d’une exposition, déjà réalisée virtuellement.
Car, en feuilletant le « grand œuvre » de Richard, on est éberlué par tant de photos d’une beauté exceptionnelle rassemblées par un seul homme. Et Richard pourrait dire comme Guy de Maupassant : « je suis un regardeur». Certes, ce sont des années de randonnée sur tous les terrains possibles de la Vallée, un peu en plaine et beaucoup en montagne, sur les sentiers ou en dehors, toujours en usant ses souliers. Mais, pour en venir à bout – existe-t-il seulement un bout ? il est nécessaire d’aimer la montagne voire d’en cultiver tous les aspects à travers la nature du sol et des rochers, l’eau et la neige, les plantes et les fleurs. Dans ce monde complexe, l’homme, hôte de passage, n’a qu’une place photographique minimale. Bien sûr, il reste une part de chance, mais « fortuna ridet nemios »* et je n’aurais jamais cru qu’il soit possible de capturer un avion de ligne avec sa traînée blanche entre deux aigles royaux en vol.
À côté, les quelques photos de mes sorties en Ubaye font figure de simples souvenirs de famille. Et, pour ce qui est des sites tout à fait exceptionnels plus éloignés, je n’ai que le souvenir du cirque de Gavarnie au printemps après une chute de neige formant la fameuse cascade dite du voile de la mariée ; sans omettre celui du Cervin, grandiose au lever de soleil, vu d’une petite cabane d’alpage à ses pieds. Certes, la montagne m’a parfois inspiré quelque historiette, mais quand je feuillette mon carnet de courses en montagne, je n’y trouve que du factuel.
Pourtant, tout ceci n’épuise pas le sujet car pour moi la montagne, c’est plus qu’une approche visuelle. C’est d’abord sentimental et pas seulement dans le sens de la nostalgie : au-delà de la beauté des éléments (fleurs, sites etc.), se situe pour moi une sorte de conjonction avec le monde minéral ; d’ailleurs, je ramène souvent au moins une pierre de toutes les montagnes (trois des Dolomites, de couleurs différentes). Et je ressens aussi le caractère sacré de certains sommets : ainsi, il me paraît tout aussi sacrilège de remplacer la croix du sommet de la Font Sancte par une antenne-relais que d’aller « conquérir » l’Everest !
Enfin, je crois me souvenir qu’il y a près de quarante ans, nous sommes allés ensemble, Richard et moi, au sommet Brec du Chambeyron en « conquérants de l’inutile ». Ce fut peut-être pour lui le point de départ d’une belle aventure photographique qui dure encore .
Bernard Cugnet, le 2 janvier 2024